20170405_095241968_iOSJe ne savais de lui que ce que les gens en disaient. Bizarrement, beaucoup le connaissent. Un ami manceau, au cours d’une hasardeuse conversation, avait évoqué son nom. Ce nom qu’on retrouve dans les journaux chaque année quand il faut parler d’éducation, de littérature ou de poésie. Arthur Rimbaud, c’est une personnalité publique tombée avec la poussière des vieux livres, un patronyme familier qui revient comme l’automne chaque année, mais pourquoi Arthur Rimbaud ?

C’est étrange de s’intéresser à un auteur du 19e siècle quand on est informaticien et qu’on est sortie de l’école obligatoire à 14 ans avec un vocabulaire d’environ 500 mots. Je ne dirais pas que j’étais analphabète, mais clairement d’un niveau littéraire insuffisant. Quand j’y repense, à l’époque, je ne m’intéressais principalement qu’à la technique: la programmation et aux ordinateurs. La langue française était clairement secondaire à mes yeux.

Depuis aussi loin que je m’en souvienne, je me suis toujours intéressé à l’histoire. J’attribue cet intérêt à une volonté de comprendre le monde, la société. Comprendre d’où l’on vient, etc. vous connaissez l’adage. Avec le temps, cette volonté de décrypter les racines s’est exprimée dans des domaines de plus en plus variés, j’ai appris à aborder n’importe quel sujet de manière plutôt honnête(pour peu que l’on puisse l’être) et surtout en faisant abstraction de tout complexe. (Le même genre de complexe qui empêche d’aller au musée parce qu’on n’y comprend rien alors que c’est justement parce qu’on n’y comprend rien qu’il faut aller au musée). Mais revenons à notre Arthur Rimbaud, j’ai une histoire à vous raconter.

Tout a commencé lors d’une brocante au Musée d’Art et d’Histoire de Genève. (Ceux qui me suivent savent que beaucoup de mes aventures commencent dans des musées). Chaque année la bibliothèque d’Art et d’Archéologie organise une petite vente dans laquelle on trouve des livres d’occasions et neufs à prix avantageux. J’achète des quantités invraisemblables de livres, souvent, d’architectures, d’arts ou d’histoires. Lors de ma dernière visite, je suis tombé sur un livre édité à l’occasion d’une exposition sur le poète Paul Verlaine « Verlaine, cellule 252, Turbulences poétiques » à Mons au Musée des Beaux-Arts. Dans ce pavé fourni, que j’ai parcouru en diagonale, une lettre a attiré mon attention, adresse à sa famille, elle a été écrite par Arthur Rimbaud le 22 septembre 1880 à Aden (aujourd’hui capital du Yémen). Il y racontait sa vie et son travail dans le commerce du café.

http://www.mag4.net/Rimbaud/lettre-aden-18800922.html

Je savais comme je viens de l’expliquer plus haut que Paul Verlaine et Arthur Rimbaud étaient poètes et qu’il avait eu une romance explosive à la fin du 19e siècle. C’était plus ou moins l’ensemble des connaissances que j’avais sur eux, de quoi ne pas passer complètement un idiot dans un repas d’intellectuels snobs.

Cette lettre a été capitale dans ma découverte de Rimbaud.  Tout à coup, je découvrais qu’il n’était pas qu’un nom célèbre par des rats de bibliothèque, mais un homme qui a existé, qui a eu une vie avec des espoirs et des rêves. Qu’il n’était pas que la signature d’un texte écrit en vers dont on ne comprend le sens qu’en le lisant cinq fois chaque ligne. 

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La Pléiade

L’idée de me documenter sur Rimaud a mis du temps à émerger. Des phrases tournaient dans mon esprit, « Ce n’est pas fait pour toi, tu n’es pas un littéraire, c’est de la poésie, ça va te saouler » tout un lot d’arguments fainéants que nous sommes capables d’inventer pour nous empêcher de sortir des sentiers battus. Finalement après plusieurs semaines d’hésitation, j’ai décidé d’acheter « Rimbaud – Oeuvre complète » Volume 68 aux éditions Gallimard dans la très connue bibliothèque de La Pléiade. Mon choix s’est porté sur cette édition, d’une part, parce qu’elle a excellente réputation, d’autre part, car il s’agit du regroupement de documents concernant Arthur Rimbaud le plus important à ce jour. Quitte à s’intéresser à cet auteur, autant choisir ce qu’il y a de mieux.

Ce petit livre (1102 pages quand même) a été une porte d’entrée fantastique dans le monde de Rimbaud. Facilement transportable, il m’a accompagné dans tous mes voyages durant ces derniers mois.

Arthur Rimbaud a été poète jusqu’à l’âge de 20 ans, après il est devenu explorateur

C’est là, la principale interrogation que j’ai eu à résoudre. Pourquoi celui qui, encore aujourd’hui, est reconnu comme l’un des plus brillants poète de langue française a-t-il décidé un beau matin de partir explorer le monde et d’arrêter la poésie ? C’est étrange non ? Au départ je pensais que son altercation avec Paul Verlaine en juillet 1873 à Bruxelles avait été le catalyseur qui allait précipiter son départ pour l’Afrique. (Résumons : Verlaine veut quitter Rimbaud pour rejoindre sa femme, Rimbaud le rejoint à Bruxelles pour l’en empêcher, vraisemblablement fatigué de l’attitude de Verlaine, ivre et qui avait acheté une arme pour mettre fin à ses jours, Rimaud veut le quitter, Verlaine lui tir alors dessus à deux reprises et terminera incarcéré à Mons). Il s’est avéré que la réalité est un peu plus délicate.

Comment un littéraire brillant devient-il explorateur du jour au lendemain ?

Cette question fut ma principale interrogation en découvrant Rimbaud. J’ai mis une année pour comprendre qu’en réalité il n’était jamais devenu explorateur, mais l’avait toujours été. La poésie, sa poésie n’était autre que la forme première de l’exploration, de la fuite qu’il a construite avec ce qu’il avait à ce moment à disposition, du papier et de l’encre.

Arthur Rimbaud a vécu toute son enfance à Charleville. Imaginez un peu, nous sommes en 1860, Charleville est une petite ville, la population vit principalement de l’agriculture et les moyens de transport sont limités. On se déplace principalement à pied, en bateau ou à cheval. Le train à vapeur a commencé à envahir le territoire français depuis 1814, on est loin du réseau ferré actuel, mais on peut déjà circuler aisément avec ou choisir de prendre une diligence tractée par des chevaux.

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L’atmosphère est étouffante pour le jeune Arthur. Sa mère Vitalie est très exigeante (elle assume seul l’éducation de ses quatre enfants après le décès/départ de son mari, le capitaine Frédéric Rimbaud) et malgré les prix et récompenses qu’il obtient très tôt, elle va, sans le vouloir, pousser Arthur à s’enfuir. C’est en 1870, à l’âge de 16 ans qu’une première occasion se présentera, il se sauve alors et va à Paris. Très vite, dès son arrivée à la gare du Nord, il est rattrapé par les contrôleurs qui le jettent en prison pour ne pas avoir payé de billet. De sa cellule, il écrit à l’un de ses anciens professeurs qui payera sa dette.

Arthur Rimbaud avait une soif d’exploration insatiable et depuis toujours, il se sentait en captivité et sa poésie le reflète.

Quand j’ai lu ses premiers textes, j’ai été surpris de découvrir à quel point il devait être un enfant atypique, passionné, mais orgueilleux. Il en était touchant, débordant d’une énergie explosive, absolument convaincue d’être un génie (ce qu’il était, oui), mais accompagnée d’une forme de naïveté juvénile dans sa manière d’aborder le monde.

Revenons à notre histoire, peu après son altercation avec Verlaine, Rimbaud retourne à Londres avant de partir s’installer quelque temps en Allemagne. Durant cette période, il acquiert de solides connaissances en anglais et allemand. Il n’a que 20 ans et c’est à ce moment qu’il abandonne la poésie. Progressivement, il va commencer à s’intéresser à des disciplines plus proches des sciences et qui contribueront à faire de lui l’explorateur qu’il tendait à devenir.

Beaucoup de gens pensent que la rupture avec Paul Verlaine a été la cause de l’abandon de la poésie par Rimbaud. Je crois qu’en réalité c’est plus subtil que ça. Le jeune Rimbaud voulait retourner à Londres, Verlaine oscillait entre le jeune poète et son épouse et c’est l’une des raisons qui a déclenché la rupture. Arthur n’avait plus de raison de rester attacher à un lieu, le manque de réceptivité de sa poésie par le milieu de l’édition parisienne, la ville de Charleville qu’il aimait détester, plus rien ne l’obligeait à faire bonne figure ici, il a attrapé sa liberté à pleines dents, il ne serait plus obligé de vivre la liberté au travers du prisme de l’écriture, il allait enfin pouvoir l’exprimer pour de vrai.

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Voyage en Suisse

En 1875, décidé à apprendre l’italien, il traversera la Suisse une première fois en train et franchira le col du Saint-Gothard à pied (sans-le-sou en poche et au mois de mars) pour se rendre à Milan.  De là, et suite à une insolation, il sera rapatrié à Marseille d’où il manifestera l’envie de s’engager dans les carlistes pour apprendre l’Espagnole.

Après de brefs retours à Charleville et Bruxelles, il passera en Autriche, s’en fera expulser pour vagabondage. Il atterrira à Rotterdam et se fera enrôler pour 6 ans dans l’armée coloniale néerlandaise. Chargé avec d’autres mercenaires de réprimer une révolte dans l’île de Sumatra, il fera escale à Java, Southampton et Naples. Rimbaud traversera le canal de Suez et en 1876 fera une première incursion à Aden, le capital du Yémen (j’y reviendrais un peu plus tard, lui aussi).

En quelques années, il va traverser le globe. De son enrôlement dans l’armée néerlandaise, il y mettra lui-même un terme en désertant et continuera de voguer là où le vent le porte: Sainte-Hélène, les Açores, Cork, Liverpool, Le Havre pour ne citer que quelque-une de ses escales.

En 1878, il franchit une seconde fois le Saint-Gothard pour rejoindre Gênes, Alexandrie et Chypre qu’il connaissait déjà. Après une dispute avec le payeur général, il retourne à Alexandrie, il n’envisage plus de revenir en France, les connaissances de la langue arabe qu’il possède lui vaut d’être embauché à Aden dans la maison Mazeran, Viannay, Bardey et Cie et travaillera dans l’import-export notamment le commerce notamment de café.

On est loin de notre Arthur turbulent qui criait sur le papier des vers de poésie déchirants. Lui aussi l’a quitté depuis longtemps. Tour à tour chef de chantier, marin et comptable, il ne cesse de changer de métier, d’élargir son éventail de compétences.

C’est ce que j’ai aimé le plus chez lui. Tout en parcourant le monde, s’imprègne des cultures qu’il rencontre et d’une curiosité effrénée, il s’intéresse à tout et cherche à comprendre. Il fait référence dans ses lettres à sa peur de « devenir bête ». Il faut aussi comprendre qu’au 19e siècle les bibliothèques sont encore rares et leurs constitutions n’est de loin pas une priorité à l’ère coloniale.

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Charleville-Mézières

C’est donc depuis ma chambre d’hôtel à Charleville-Mézières que je rédige ce texte. L’idée de venir visiter la cité fondée par Charles de Gonzague a mis un moment à germer dans mon esprit, mais plus j’étudiais la vie de Rimbaud et plus j’avais envie de découvrir l’endroit.

Aujourd’hui, Charleville n’est plus tout à fait la ville que le jeune Arthur a connue, la population a été multipliée par cinq (50’000 aujourd’hui) et deux guerres ont passé. Depuis environ 15 ans, la ville a décidé de mettre en avant son illustre habitant. Des musées, un quai, mais aussi des bars, des hôtels, des coiffeurs, tout nous ramène à Rimbaud.

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J’ai terminé cette après-midi, dans le parc au pied du Moulin de lire l’oeuvre intégrale d’Arthur Rimbaud.

Demain, je reprends le train pour d’autres horizons. Une page se tourne. 🙂