Ayant fait mes études en Suisse, la notion de bac m’est parfaitement étrangère et je peux vous assurer n’avoir pratiquement jamais ouvert de livres de philosophie de ma vie. Je vous demanderais donc de faire preuve d’une certaine indulgence 🙂 Cette année, l’un des sujets m’a inspiré et c’est la raison pour laquelle je décide de m’y confronter, quitte à exposer une vision qui ne correspondra peut-être à rien d’attendu.
Derrière cette question, d’artiste, maitre et oeuvres, se cachent plusieurs interprétations possibles. Je trouve assez moyen de rester cantonner à la définition académique attendue de ses différents mots, l’approche ouverte permettant d’opposer différents points de vue apportera à mon sens plus d’éléments pour se forger une opinion sur le sujet.
L’artiste, celui qui fait de l’art est donc celui qui crée l’oeuvre. La création artistique c’est une faculté qu’a l’homme, de composer à partir de rien (nous y reviendrons) quelques choses de singulier, capable d’inspirer une émotion, de passer un message: une oeuvre.
Le maitre serait celui qui a le pouvoir, qui dirige, généralement d’autres hommes. En soi, apposer cette fonction à un objet et non à un être vivant est déjà litigieux. On ne peut pas être le maitre d’un objet, car il n’a ni conscience ni pouvoir intrinsèque. Un objet ne craint rien, la crainte d’être blessé, tué n’étant que l’apanage des êtres vivants.
En revanche, parler de « maitre » au sens « enseignant » est plus intéressant. Bien qu’on n’enseigne pas non plus à un objet à être ou devenir un objet, d’une certaine manière, à l’aide d’un savoir-faire, de techniques, on transmet à une oeuvre ce qu’elle sera (et non pas ce qu’elle est). Dans ce cas de figure particulier, l’artiste transmet quelque chose à l’oeuvre, la transforme, l’oeuvre acquière certaines caractéristiques que l’artiste aura décidé de lui donner, mais l’oeuvre n’en fera rien, elle n’a pas de capacité cognitive qui lui permettent d’utiliser ces capacités.
La différence entre un « créateur » (artiste) et un « enseignant » (maitre) est donc déterminée par la faculté qu’aurait l’oeuvre d’elle même utiliser les caractéristiques données par son géniteur pour réaliser à son tour quelque chose de neuf.
Mais que « réalise » une oeuvre ? Rien, l’objet (l’oeuvre) est inerte. Une machine mécanique qui ferait du bruit ne « réalise » pas, elle ne « crée » pas de sons, elle fait du bruit, de manière déterminée sans possibilité de se rendre compte elle-même qu’elle réalise quelque chose (elle n’a pas la faculté de savoir qu’elle existe et donc de s’analyser et de se comprendre). L’artiste dans cette version n’est donc pas « maitre », car l’oeuvre n’est pas. Pourtant l’oeuvre une fois terminée est effectivement créatrice de quelques choses, mais ce ne sont pas les sons qui en sortiraient, mais bien les émotions qu’elle engendrerait chez l’observateur (l’auditeur) de cette oeuvre.
En effet, une oeuvre statique peut (et devrait) toujours créer une émotion chez celui qui la regarde, qui y est confronté. On peut être ému face à L’Angelus de Jean-François Millet, ce ne sont pas les coups de pinceaux du peintre qui créer l’émotion, l’émotion vient plus tard dans ce qu’inspire à l’observateur ce tableau. L’artiste à beau être aussi talentueux qu’il puisse l’être, il ne créer pas une émotion, jamais, il crée un « outil » permettant d’avoir des émotions quand on le regarde. Dans cette vision, l’artiste a donc « enseigné » à l’oeuvre comment « créer » des émotions. Elle ne le fait pas consciemment, mais c’est pourtant bien sa fonction première.
Quand on regarde une oeuvre, les sentiments qu’elle apporte en nous ne viennent pas de la toile, mais bien de soi. Lorsqu’une émotion nous envahit, celle-ci prend racine dans l’essence même de ce qui nous compose, notre passé, nos rencontres, nos enseignements reçus, nos expériences. En soi l’émotion n’existe que parce qu’on a « appris » à regarder et comprendre les choses, que nous sommes réceptif à l’art. L’oeuvre joue avec ça, elle va (rappelez-vous, objet inerte, qui n’a pas conscience d’exister…) réveiller des souvenirs en nous, émotionnel et rationnel, et nous, nous composerons inconsciemment une émotion avec ces éléments. L’oeuvre crée-t-elle l’émotion ? Elle y participe. L’artiste est-il un maitre là ? Il en est le déclencheur, en début de chaine.
Si l’oeuvre crée les émotions, l’artiste ne crée que l’oeuvre. Il met à disposition du public des outils qu’il conçoit et qui permettent de faciliter cette création par l’oeuvre, finalement, ni l’artiste ni l’oeuvre ne seraient maitres de quoi que ce soit ?
Un artiste quand il décide de concevoir une oeuvre a d’abord une idée. Une idée qui évoluerait durant tout le processus de création, prenant parfois des directions antagonistes à celle qu’il suivait au départ. Cette idée, d’où vient-elle ? En s’appuyant tout comme l’observateur de l’oeuvre, sur son expérience passée, il a la capacité de combiner une foultitude d’éléments que la vie lui a mis à disposition. L’artiste empreinte alors des idées d’autres (la peinture à l’huile, le chevalet, le concept de clair-obscur) qu’ils l’ont précédé. Bien sûr, l’artiste « invente », mais finalement pas beaucoup. Son génie réside dans sa force à combiner des éléments, consciemment ou inconsciemment pour créer l’oeuvre. Ce que l’artiste « enseigne » ou transmet à une oeuvre, ce sont des éclats d’autres oeuvres qui ne sont même pas tous de lui. L’artiste est donc « recycleur » d’idée quand il crée.
Même si on veut croire qu’il est propriétaire de ses idées, en réalité, il ne les possède pas plus que les matériaux qu’il utilise. La peinture achetée en commerce, la toile, le bois de la toile, le fil qui compose la toile, rien n’est oeuvre de l’artiste. Lui se contente de combiner ces éléments pour en faire du neuf.
L’artiste n’est pas un créateur, c’est un agrégateur de contenu qui le transforme pour lui donner la forme qu’il a imaginé et qui repose elle-même sur d’autres idées qui ne lui appartient pas. L’artiste est un connecteur entre des idées passées et des émotions à venir. Sa marge de manoeuvre est finalement très faible, mais étonnamment riche en possibilités, l’art de l’artiste réside à savoir sélectionner les bons éléments pour les transmettre à son oeuvre.
L’oeuvre ne peut avoir de maitre que si elle-même engendre une émotion (même minime) l’objet étant inerte et inconscient, l’artiste devra lui apporter la matière nécessaire pour qu’elle puisse le faire à son tour.
L’artiste est donc le maitre de l’oeuvre seulement si cette oeuvre transmet une émotion.
N.R. Vaste sujet, il y aurait encore mille choses à dire là-dessus 🙂