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Je ne devrais même pas poser cette question, tellement la réponse semble évidente. Derrière cette interrogation racoleuse se cache un vrai problème qui mérite d’être mis en lumière, car il concerne tous les Genevois: doit-on considérer l’architecture comme une oeuvre d’art au même titre que nous estimons la peinture de Véronèse ? L’architecture a-t-elle encore un sens quand elle met en péril les principes mêmes pour lesquels elle a été mise en fonction ?

Vous l’aurez deviné, je parle de notre Musée d’Art et d’Histoire, aujourd’hui confronté à des attaques violentes et équivoques orchestrées par un groupuscule d’opposants à son projet de rénovation et d’agrandissement.

Revenons dans le temps

Nous sommes en 1900, à Munich, au Musée National Bavarois. Le bâtiment n’a que cinq ans et a été construit dans le but d’abriter la collection de la famille régnante de Bavière, les Wittelsbach. Construit sur trois étages, il fait partie de ce que l’Europe a de plus moderne à offrir en terme de muséologie du début du siècle, ce n’est donc pas un hasard d’y croiser Marc Camoletti.

Marc Camelotti est un architecte genevois originaire d’une famille piémontaise. Il a fait ses études à l’École des Beaux-Arts de Paris (tout comme Jean Nouvel). C’est lui qui, avec son frère John, a réalisé pas moins que l’Hôtel des postes à la rue du Mont-Blanc, le Victoria Hall ou encore l’école Louis-Favre de Chêne-Bourg.

Quand Marc Camoletti se voit attribuer le projet pharaonique d’un musée central, il entreprend un long voyage d’études en Allemagne, en Belgique et en Hollande. Il est à l’affût des dernières innovations en matière de sécurité, d’accueil des visiteurs et d’aménagement. Il prend connaissance des avancées technologiques de l’époque, c’est lors de ces visites qu’il découvre, par exemple, le chauffage par système à eau chaude à basse pression distribuée par des radiateurs dissimulés sous un banc ou un pouf au centre des salles.

Le Musée d’Art et d’Histoire foisonne d’innovations intégrées par l’architecte. Celui-ci a délibérément cherché à en faire un lieu attractif et vivant, un musée dans l’air du temps.

Qu’en est-il aujourd’hui ?

Le musée n’a subi que peu de rénovations depuis sa construction. En cela, on peut effectivement dire que l’esprit de Camoletti a été préservé; toutefois ce n’est pas la volonté commune qui en est la cause, mais plutôt des problèmes financiers qui ont conduit ce musée à se calcifier et à se dégrader avec le temps.

J’ai toujours considéré les musées comme des écrins pour les oeuvres. En ce sens et son travail le confirme, Camoletti a réalisé un très beau bâtiment. De plus, il y a intégré une multitude d’astuces permettant d’exposer et de sécuriser les oeuvres de la meilleure façon qui soit. Il a permis d’organiser les collections en fonction des époques et des styles. Il a créé une muséologie correspondant aux oeuvres, plaçant, par exemple, l’archéologie dans des salles au style plus minéral et brutal que ne le sont celles attribuées aux beaux-arts. Il a adapté le contenant au contenu de 1910 avec ce dont il disposait de mieux à son époque. Pourquoi devrait-on renoncer à cette ambition en 2015 ?

Les récentes soirées Afterworks organisées au musée l’ont démontré: les Genevois ont un réel intérêt pour la culture. Même si cet engouement est très différent de ce que la rue Charles-Galland a pu connaître à ses débuts, il n’en est pas moins fort pour autant. Des salles combles de néophytes et d’amateurs réunis autour d’une oeuvre présentée par une conférencière passionnée prouvent que l’art intéresse toutes les générations; j’y ai croisé une palette de visiteurs aussi divers que variés comme sait si bien proposer la ville de Calvin.

Un musée vit. Il doit suivre les changements de notre société, les habitudes se modifient. Les collections évoluent et s’enrichissent d’année en année. Les techniques scientifiques se perfectionnent étendant notre champ de connaissances. Ce qui était parfaitement déterminé au début du siècle passé ne l’est plus forcément de nos jours.

Aujourd’hui nous sommes tous confrontés à cette question équivoque:

Faut-il préserver l’architecture ou conserver les oeuvres dans de bonnes conditions ?

Depuis quelques mois, j’ai eu l’occasion de lire beaucoup d’avis: il faudrait coûte que coûte sauver l’oeuvre de Camoletti, le projet Jean Nouvel la dénaturerait totalement, une petite rénovation légère serait plus adaptée si elle était associée à la construction d’un nouveau bâtiment juste en face dans le parc de l’Observatoire…

Le projet actuel de rénovation n’est pas nouveau (il est Nouvel, OK ^^), il est le fruit de longues consultations, d’un jeu de ping-pong qui, à chaque passage de la balle, a vu sa qualité et ses spécificités se préciser, aboutissant après quelques années, à une solution adaptée aux besoins de notre musée. La plupart des ajouts sont réversibles (la couverture de la cour l’est par une structure suspendue qui n’altère pas les murs actuels), l’espace de la cour intérieure est mieux utilisé, elle devient le centre de l’accueil des visiteurs. Paradoxalement, ce que les opposants prétendent être la pièce maitresse du musée actuel ne le deviendra réellement qu’avec le projet du bureau d’architecture parisien.

Les passions se déchaînent autour de la rue Charles-Galland. Pourtant, pas une fois, et c’est justement le coeur du problème, les opposants n’ont évoqué la préservation de notre patrimoine: les Diday, Calame et Hodler. Jamais ils ne se souviennent de l’urgence de la situation (voir mon billet sur la fermeture du musée). Pas un seul instant ils ne se sentent concernés par l’objectif prioritaire de Marc Camoletti, à savoir la conservation des oeuvres d’art.

“Le bâtiment s’effrite mettant en danger les oeuvres qu’il abrite.”

Demain, la question ne sera pas de décider s’il faut sauver ou non un bâtiment centenaire, le projet de Jean Nouvel étant en plein accord avec l’existant. Non, la réalité c’est que, demain, nous devrons décider si oui ou non on veut offrir un avenir à notre patrimoine culturel et artistique, si oui ou non on veut transmettre un lieu qui réponde aux attentes et espérances des générations à venir tout comme l’ont fait les Genevois qui nous ont précédés au début du siècle passé.

Je crois sincèrement en ce projet, je crois en ce musée et à son entrée dans le XXIe siècle, ce siècle exceptionnel qui verra les collections reprendre leur place au centre de nos attentions, relégant cette sordide cour froide et sa gouille d’eau dans l’ombre. Les objets qui dorment depuis bien trop longtemps dans des réserves silencieuses seront enfin mis en lumière et accessible à tous.

 

Références